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Evocation du Grand Meaulnes
25 septembre 2007

Le film de Jean-Daniel Veraeghe (1)

"Chacun par-delà la petite histoire peut se resouvenir de sa propre histoire intérieure"
Alain-Fournier

Plus un film dévie de l'esprit d'un roman qu'il est censé adapter le plus fidèlement possible, plus il suscitera de mots et de commentaires. En revanche, qu'il est difficile de parler d'une oeuvre réussie: l'analyse est réduite à l'expression de notre admiration d'abord muette, puis curieusement succinte!

Malgré la déception, je conseille de voir tous les films, parce que ça permet de mieux connaître le roman, par comparaison. Ça permet de distinguer, par constraste, le Meaulnes particulier qui vit en chacun de nous, ça permet de prendre conscience de cet exemplaire personnel.
Et puis je conseille de tout voir, de tout lire car déjà il n'y en a pas des masses. Pourquoi faire les difficiles quand c'est la famine?

Cela ne m'empêchera pas de parler librement de l'impact du dernier film sur moi et sur ma connaissance du roman.
Comme pour beaucoup ma déception a été grande. Pas parce que le film était en droit de trouver sa propre atmosphère, mais parce qu'il m'a interloquée dans ce qu'il avait d'antinomique avec l'esprit central du roman: il est cacophonique, il est trivial, il est stéréotypé.

Pour rendre l’atmosphère intimiste du roman, le réalisateur a choisi le cosy d’une vie matérielle petit-bourgeois. Les décors sont saturés d’une matérialité liée au confort et c’est très encombrant à mes yeux : même la maison de l’oncle Florentin est cosy, encombrée d’objets de décoration, la scène du repas se fait dans un salon aux lourds tapis rouges et à la table très garnie. Dans le roman, la salle commune est la cuisine, attenante au magasin où le sol est en terre battue... Toutes les matinées de François chez l’oncle Florentin se passent dans la cuisine et dans la cour « assis sur des boîtes à savon ».
Alain-Fournier accumule des détails non lisses, des détails « étranges » dignes de la perception des enfants, car c’est un roman délibérément dominé par le point de vue d’enfants.
Le domaine mystérieux est également surchargé, il ne rend pas compte des courants d’air, de l’idée de décrépitude, de mort à venir. Inutile de faire le détail de mon grief.

La chose la plus représentative de l’incompétence du réalisateur au regard de ce qu’est le roman d’Alain-Fournier est le traitement du personnage de Franz de Galais et l’invention absurde de l’emprisonnement de Meaulnes (quant à sa mort : elle est à la fois corrélée à la biographie de l’auteur lui-même et la conséquence symbolique directe de l’emprisonnement...)
Pour moi mettre Meaulnes en prison est une idiotie : Augustin est l’incarnation du mouvement, de la liberté, de la fuite loin du réel. Ancrer le jeune homme dans la temporalité et en faire un personnage « social » a été pour moi la goutte qui a fait déborder le vase. Meaulnes est une sorte de Rimbaud, dans son nom on peut lire « eau » en continu, c’est le personnage de la fluidité, de la liberté, et l’emprisonner c’est le salir selon moi, c’est briser la métaphore du rêve, de l’idéal. L’idéal appartient à ce qui est pur et inaccessible et ce mot « pur » a beaucoup d’importance dans le roman. Meaulnes a perdu sa pureté, et en effet il peut alors disparaître (mais là encore la mort n’a pas le même notion que dans le roman).

Mais le pire c’est de s’apercevoir que le réalisateur a pris Meaulnes pour un personnage ordinaire, je veux dire par là qu’il n’a pas compris qu’il incarnait une fonction, un rôle dans le roman, une idée. Meaulnes n’est pas à prendre complètement comme un personnage entièrement existentiel et matériel selon moi. Je pense que j’en reparlerai, j’ai besoin d’explorer ce que je viens d’écrire sur ce point.

Donc Puisque Meaulnes ne peut aller « la semelle au vent », puisqu’il est pris comme un vulgaire garçon en chair et en os, alors oui il peut disparaître... Et c’est bien ça la question : c’est parce qu’il a été traité en personnage matériel qu’il est mécaniquement appelé à disparaître. Si Verhaege avait suivi le roman, Meaulnes aurait conservé intact son statut d’errant, d’élément insaisissable et fluide qui représente pour moi le principe imaginaire qui fait aller et venir sur la page d’écriture du roman la plume de... François Seurel.

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